Une exposition, deux regards !
Nos rédactrices, Victoire B et Anna, s'expriment :
Au premier abord, les 150 photographies de Raymond Depardon exposées au Grand Palais paraissent simples, presque communes. On y voit une femme au manteau rouge de dos, en gros plan, dans une rue de Buenos Aires. L’artiste parle lui-même de photos "que tout le monde pourrait faire et que personne ne fait". Mais, au fur et à mesure que le spectateur s'immerge dans son univers, l'originalité de Depardon se dévoile.
Connu principalement pour ses photos-reportages en noir et blanc ou son portrait du président Hollande qui orne plus de 30 000 mairies, ce français qui naît dans une ferme à Villefranche-sur-Saône dans le Rhône, quitte la maison familiale à l'âge de 16 ans, sans études ni expérience, un argentique à la main, pour découvrir le monde. Il travaille pour les grandes agences de reportages Dalmas, Gamma, Magnum, parcourt l’Afrique, l’Amérique Latine, le Liban." A Beyrouth, je choisis de photographier non pas la guerre civile, mais ses conséquences et tout ce qu'il se passe en marge des conflits" explique-t-il. C’est ainsi qu’il photographie les hommes dans ce qu'ils ont de profondément humain en les montrant dans leur simplicité, souvent dans un contexte rustique qui lui rappelle son enfance à la ferme. Grâce à un deuxième appareil photo couleurs, dont il se sert pour un usage personnel, il redonne de la lumière et de la vie à ses sujets même dans le quotidien le plus banal. Cette couleur offre "un moment si doux", que, de Beyrouth détruite, des rues grises de Glasgow à la terre aride d’Ethiopie, il a su déceler une lueur de joie, de sérénité.
Texte : Victoire Bounine
Dans l’œuvre de Raymond Depardon, la couleur crie une douce vérité : celle de l’enfance. « Mon enfance est en couleurs, je ne peux pas la trahir » avoue-t-il. Les photographies exposées au Grand Palais à l’occasion de l’exposition « Un moment si doux » sont entièrement consacrées à ce travail en technicolor jusqu’ici méconnu. Chaque œuvre offre un témoignage honnête, un retour sans détours au réel.
Lorsqu’il évoque son enfance, Depardon mentionne la ferme du Garet où il a vécu jusqu’à ses seize ans. Entre les poules, les chiens et les chats, l’artiste a osé brandir son objectif, incongru. Cet objectif qui l’a entrainé au bout du monde. Ethiopie. Bolivie. Angleterre. Longtemps, Depardon a fui son enfance. Il n’a pourtant jamais oublié ses racines, comme en témoigne la photographie de Marcel Privat, paysan de Lozère héros du documentaire Profils Paysans. Depardon capture l’homme au repos, dans sa cuisine, espace intime où les agriculteurs, libérés du poids du labeur, se révèlent inconsciemment. Le portrait de Marcel Privat ressemble étrangement au Docteur Paul Gachet de Van Gogh. Le docteur, accoudé sur une table qui soutient sa misère, affiche un visage mélancolique qui reflète « l'expression navrée de notre temps » selon les mots de Van Gogh à Gauguin. La même mélancolie émane de Marcel Privat, de sa pose, de son visage, de ses yeux rougis par la maladie, du personnage tout entier qui somnole dans sa cuisine en attendant la mort. Sa mort et celle des petites exploitations agricoles. Depardon parvient à adoucir les contours de cette mort qui hante l’arrière plan noir en utilisant des couleurs pastel, presque passées. Ces photographies que Depardon qualifie lui-même « d’assez douces, distanciées, avec une certaine retenue » sont peut-être les plus authentiques de son œuvre.
Texte : Anna Bogdanoff
Et vous, vous en pensez quoi ?
Raymond Depardon, Un moment si doux, du 14 novembre 2013 au 10 février 2014, Grand Palais, 3 Avenue du Général Eisenhower - 75008 Paris, Métro : Champs-Elysées - Clémenceau